Des cris à la parole

Des cris à la parole

Des cris à la parole

Nous sommes sur la terre, il y a bien longtemps. Je vais vous raconter l’histoire d’un couple préhistorique, lui, chasseur avec son arc et ses flèches et elle, cueilleuse des fruits de la terre et des arbres avec un sac de peau de bête sur le dos.

Ils ne savent pas encore qu’ils vont vivre l’aventure la plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité et que le monde va s’en trouver bouleversé. Leur besoin de se comprendre et de communiquer, autrement que par des cris imitant ceux des animaux, est immense. Quand sa demande de caresses, de douceur lui fait monter les larmes aux yeux, elle voudrait trouver autre chose que de mimer les caresses affectueuses d’une mère pour ses nouveau-nés. Lui, désire non seulement répondre à sa demande, mais aussi trouver de quoi la combler au-delà de son attente. Tous les deux se sentent démunis, impuissants, désespérés de si peu de moyens à leur disposition pour donner et recevoir. Oh, leurs étreintes, leurs regards complices, leurs attentions l’un pour l’autre sont tels que les autres couples de la tribu ont remarqué ce phénomène étrange qui les unit. Entre eux deux, il y a comme un courant qui passe, de la chaleur, une vibration de l’air au bout de leurs doigts quand ils s’effleurent. Un matin, ils se sont réveillés, tous deux avec un rêve bien présent.

Lui, avait rêvé d’elle qui émettait une suite de sons inhabituelle « Yaou ». Elle la prononçait, comme les singes, comme les éléphants, comme le ruisseau, comme la cascade, comme un chant d’oiseaux, toujours la même suite de sons tout en dansant «Yaou». Elle était resplendissante et son chant envoûtait.

Elle, avait rêvé de lui. Il était beau, sa silhouette dansait devant le soleil levant. Elle l’entendait scander « Réyé » au rythme de ses pas dans un chant qui ondulait comme les vaguelettes du lac sous la brise du soir. Elle sentait ces vibrations ondoyer dans son corps.

Maintenant, ils sont bien éveillés, chacun son rêve devant les yeux, la mélodie dans la tête, le tempo dans le corps. Leur frustration est immense tant ils sont impuissants à partager ce qu’ils voient, entendent et ressentent. Après une longue étreinte pleine de désespoir, elle, de son index, touche les lèvres de son compagnon et dit « Réyé ». Aussitôt, il comprend et prononce « Yaou » en effleurant de ses doigts la bouche de sa compagne. L’amour qui les unit a permis à chacun de faire don à l’autre de ce qui sera dorénavant son nom.

Depuis ce jour, ils s’appellent ainsi dès qu’ils ne se voient plus. Les autres membres de la tribu ont compris leur jeu. Chacune et chacun a reçu un nom particulier le distinguant. Toutes et tous se sont mis d’accord pour nommer chaque animal, chaque plante, chaque évènement d’un mot différent. Régulièrement, tous se réunissent pour débattre des nouveaux baptêmes. Plusieurs proposent un nom différent, puis ils s’entendent sur la suite de sons la plus évidente et la plus harmonieuse avec ce qui est désigné.

Les années ont passé. Réyé et Yaou sont au soir de leur vie. Ils sont les plus âgés de la tribu. Les soirs, à la veillée, autour d’un feu, ils racontent avec leurs mots d’aujourd’hui le temps où les humains ne connaissaient pas les mots et ne faisaient qu’imiter les bruits de la nature, les

cris des animaux et se contentaient de postures et de signes avec bras et mains. Les jeunes ont beaucoup de mal à imaginer un tel monde.

Un soir, Réyé et Yaou ont proposé à la tribu un nouveau mot, « Ahmm », pour nommer ce sentiment qui les a unis depuis le premier jour de leur rencontre. Il est composé du « Ah » de la joie de retrouver une compagnie annonciatrice de bien-être et du « Mm » que l’on dit quand on trouve qu’une nourriture est bonne. Dans la nuit qui a suivi, comme si leur mission était accomplie, leurs esprits sont partis au pays des rêves éternels. Le jour de leurs funérailles, la tribu a adopté ce nom pour nommer ce lien très fort qui relie les êtres, celui qui unissait Réyé et Yaou « AhMm ».

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